BWill vert pix 2(Première partie: French)(Part one: English) Barbara Will, professeur d’anglais au Dartmouth College, a étudié à l’université de Yale (B.A.), au Bryn Mawr College (M.A.), ainsi qu’à l’université de Duke où elle a obtenu un doctorat en littérature en 1992. Le professeur Will a publié de nombreux ouvrages sur la littérature et la culture du vingtième siècle et s’est spécialisée dans l’étude de l’oeuvre de l’auteur Gertrude Stein. Son livre Gertrude Stein, Modernism, and the Problem of “Genius” (Edinburgh UP, 2000) explore la relation complexe entre Stein et sa propre influence artistique et la situe dans le contexte général de la littérature moderne. Ce livre a remporté le prix Choice Outstanding Academic Title.

Unlikely Collaboration book coverSon deuxième livre, Unlikely Collaboration: Gertrude Stein, Bernard Faÿ and the Vichy Dilemma, a remporté d’importants prix dans le domaine de la recherche, notamment de l’American Council of Learned Societies (conseil américain des sociétés savantes), du National Endowment for the Humanities (Fondation nationale des humanités), de l’American Philosophical Society (société américaine de philosophie) ainsi que de la Fondation Camargo située à Cassis en France. Elle travaille actuellement à un nouveau projet sur l’engagement de l’écrivain irlandais Samuel Beckett dans la Résistance française pendant la Deuxième Guerre mondiale. Si vous souhaitez obtenir plus d’informations sur Barbara Will, n’hésitez pas à visiter son site internet : (Website) (Purchase)

« Un livre riche en détails et équilibré » — The New Republic

« Un livre extrêmement riche en détails et érudit » — Jewish Ideas Daily

Première partie : Impressions françaises : Barbara Will parle de Gertrude Stein, Bernard Faÿ et la vie intellectuelle durant le temps de guerre en France 

INTERVIEW (deuxième partie)

Unlikely Collaboration: Gertrude Stein, Bernard Faÿ, and the Vichy Dilemma

Entre 1941 et 1943, la romancière juive américaine Gertrude Stein, icône de l’avant-garde, a traduit trente-deux discours, pour le public américain, dans lesquels le général Philippe Pétain, chef du gouvernement collaborationniste de Vichy, rappelle que la politique de Vichy a pour but d’expulser les juifs et autres « éléments étrangers » de la sphère publique, tout en appelant la France à la réconciliation avec ses occupants nazis. Pourquoi et dans quelles circonstances s’est-elle engagée dans un tel projet ? La réponse se trouve dans la relation qu’elle entretenait avec l’homme au coeur de cette controverse : Bernard Faÿ, son protecteur de Vichy. Barbara Will nous montre le pouvoir formateur de cette relation qu’elle a étudiée en tant que représentation de la vie intellectuelle en France pendant la guerre mais aussi pour montrer quel a été le rôle des Américains dans le gouvernement de Vichy.

AWP : Pourqoi Gertrude Stein et sa partenaire Alice B. Toklas, contrairement à la plupart des juifs, ont-elles choisi de rester dans une situation qui risquait pourtant de leur coûter la vie ? Stein était-elle au courant de ce que subissaient les autres alors qu’elle soutenait la Révolution nationale de Pétain et la propagande de Vichy ?

BW : Il est extrêmement difficile de répondre à ces questions car nous avons très peu de sources nous permettant de connaître la position de Stein et Toklas pendant la guerre. Les lettres sont rares et lorsque Stein écrivait à quelqu’un, elle prenait soin de dissimuler ses opinions. Il y a toutefois ce roman écrit par Stein pendant la guerre, intitulé Mrs. Reynolds, qui traite indirectement des conditions de vie terribles pendant la guerre. Nous avons aussi récupéré quelques histoires pour enfants, très étranges et sinistres, qu’elle a écrites entre 1940 et 1943. Enfin nous avons également une autobiographie publiée par Stein juste après la guerre, intitulée Wars I Have Seen. Dans ce livre, Stein dénonce les conditions de vie difficiles pour elle et ses voisins dans le Bugey mais elle ne décrit à aucun moment sa propre expérience en tant que femme juive. Elle continue à louer Philippe Pétain qui, selon elle, a « accompli un miracle » avec l’Armistice (et ce, après que Pétain ait été condamné à mort pour trahison par un tribunal français).

Dans son livre, Stein décrit les relations étroites qu’elle entretenait avec ses voisins juifs. J’ai vraiment du mal à imaginer qu’elle n’était pas au courant de ce qui leur arrivait. Son silence est assourdissant.

En même temps, il est important de préciser que la position de Stein a sans doute évolué au cours de ce long et meurtrier conflit. S’il est vrai qu’elle semble avoir soutenu Pétain pendant la guerre, elle s’est aussi liée d’amitié avec certains membres de la Résistance française (le maquis) qui vivaient dans sa région pendant les derniers mois de la guerre. Comme beaucoup de gens en France en ces temps difficiles et incertains, Stein a forgé des alliances contradictoires jusqu’à ce que l’issue de la guerre la force à choisir un camp.

AWP : Gertrude, ses frères, Léo et Michael ainsi que la femme de Michael, Sara, étaient les tout premiers collectionneurs d’oeuvres d’art réalisées par Pablo Picasso et Henri Matisse. Beaucoup d’entre elles ont été acquises avant la Première Guerre mondiale. Comment et pourquoi ces oeuvres ont-elles survécu à la guerre, particulièrement celles appartenant à la collection de Gertrude ?

BW : Cette question a soulevé de nombreuses polémiques à l’occasion de la récente exposition de la collection d’art de la famille Stein à San Francisco, New York et Paris. L’exposition était appelée “La collection Stein : Matisse, Picasso et l’Avant-Garde parisienne”. Beaucoup de visiteurs ayant assisté à l’exposition, surtout à New York, se sont demandés comment de telles œuvres d’art ont pu rester en possession de Gertrude Stein quand tant d’autres oeuvres appartenant à des juifs furent confisquées et jugées immorales par les nazis et les autorités de Vichy. C’est là que l’influence de Bernard Faÿ a joué un rôle crucial dans la vie de Gertrude.

Il y a une anecdote qui raconte qu’à l’approche de la fin de la guerre, les autorités de Vichy fouillèrent l’appartement de Stein et Toklas rue Christine à Paris. L’appartement fut scellé lorsque les deux femmes prirent la fuite vers le sud de la France en 1939. Picasso eut vent de cette nouvelle et, craignant pour ses oeuvres, contacta Faÿ qui intervint auprès des autorités pour que l’appartement ne soit pas fouillé. J’ai le sentiment que Faÿ est ainsi intervenu plusieurs fois pendant la guerre pour protéger la collection de Stein. Pendant ses années Vichy, Faÿ consacra beaucoup de temps à essayer de sauver les trésors de la culture française de la censure nazie.

AWP : Pouvons nous tout pardonner aux intellectuels dont nous admirons l’oeuvre, quel que soit le contexte dans lequel elle a été créé ou son but ? Devons-nous les juger selon des critères éthiques plus élevés ?

BW : On retrouve ces questions dans mon livre. Encore aujourd’hui, j’ai le sentiment ne pas pouvoir y apporter une véritable réponse. Si nous continuons à adhérer au concept de l’artiste-génie (concept très répandu), alors nous ne pouvons pas les juger sur le contexte dans lequel ils ont vécu ou les opinions qu’ils ont affichées au cours de leur vie. Stein elle-même défendait ce concept de l’artiste-génie. Pourtant je reste profondément perplexe devant cette idée selon laquelle les intellectuels pourraient tout se permettre simplement parce qu’ils sont brillants ou qu’ils font preuve d’originalité.

AWP : Lorsque vous avez commencé à écrire Unlikely Collaboration, saviez-vous ce que vous vouliez faire de différent par rapport aux autres biographies de Gertrude Stein ?

BW : Je savais que je ne voulais pas essayer de trouver des excuses à Stein ou de justifier ses opinions politiques. Je ne voulais pas écrire une hagiographie. Ayant étudié l’oeuvre de Stein pendant plusieurs années, je savais que sa solide réputation en tant qu’écrivain et novatrice littéraire la protégerait des révélations concernant sa vie personnelle et ses opinions. Il y a tant d’écrivains modernes qui étaient fascinés par les régimes fascistes, j’avais le sentiment qu’il fallait aussi parler du cas de Stein.

AWP : Si Stein avait vécu plus longtemps, aurait-elle été chassée de France ou serait-elle sortie indemne de sa collaboration avec Pétain ?

BW : Lorsqu’elle fut découverte à la fin de la guerre par les soldats américains et les journalistes, elle fut acclamée comme une survivante, ce qu’elle était bien sûr, entre autres choses. Son soutien au régime de Vichy ne fut jamais abordé, mis à part certains commentaires de quelques amis ou connaissances qui avaient entendu des choses pendant la guerre. En tous les cas, après la guerre, l’attention était centrée sur les « vrais » collaborateurs : les gens comme Faÿ qui bénéficia d’énormes privilèges grâce au régime de Vichy et qui fut condamné pour ses actions en 1946.

AWP : Comment s’est manifestée la soudaine célébrité de Gertrude après le succès de son livre The Autobiography of Alice B. Toklas ? Et comment a-t-elle réagi face à un tel succès ?

BW : Le succès de Stein dans les années 1930 fut à la fois foudroyant et très pénible pour elle. Je pense qu’elle a soudainement pris conscience du poids des responsabilités qui affligeait les figures publiques. C’est à ce moment-là qu’elle commença à revendiquer l’importance des figures politiques et de la volonté des peuples à être dirigés par des dictateurs.

AWP : Qui ou qu’est-ce qui a permis à Stein d’être reconnue en Amérique après la guerre, après sa mort en 1946 ?

BW : Elle est devenue l’égérie d’un certain genre de média d’après-guerre. Par exemple, elle apparaît dans le magazine Life, dans un article consacré aux soldats américains et à leur expérience dans l’Europe d’après-guerre. Avant la guerre, dans les années 30, Stein s’était présentée au public américain comme une héroïne américaine embrigadée dans la folie du modernisme parisien et ce rôle lui allait comme un gant. Après la Seconde Guerre mondiale, ce ne fut pas difficile pour elle de reprendre ce rôle. Elle savait comment manipuler les médias de masse américains et connaissait bien les rouages de la célébrité.

ECRITURE

AWP : Vous avez également écrit Gertrude Stein, Modernism, and the Problem of “Genius” (2000). Qu’est-ce qui vous a inspiré chez Stein en tant que personne et femme de lettres ?

BW : J’ai toujours été fascinée par l’écriture de Stein et par ce que j’appelle son excès : en tant qu’écrivain, qu’intellectuelle et personne. Bernard Faÿ disait qu’elle avait une grande joie de vivre et il avait raison. Malheureusement, son indiscipline ou excès l’a menée à faire des choix ambivalents. On ne peut pas admirer Stein sans prendre en compte tous les aspects de sa personnalité.

AWP : De quelle manière votre premier livre Gertrude Stein, Modernism, and the Problem of “Genius” a-t-il influencé le deuxième, Unlikely Collaboration ?

BW : Quelque part, je crois que c’est parce que Stein se voyait elle-même comme un génie qu’elle s’est si facilement identifiée au général Pétain qu’elle considérait comme un grand général et leader. Dans l’introduction des discours qu’elle a traduits, elle décrit Pétain avec les mêmes mots qu’elle utilisait pour se décrire elle-même comme un génie.

AWP : Pouvez-vous nous dire quelque chose que nous ignorons à propos de Gertrude Stein ou Alice B. Toklas ?

BW : Alice Toklas avait probablement des opinions politiques beaucoup plus réactionnaires que Gertrude Stein.

AWP : Gertrude Stein est une icône américaine, mais est-elle connue en France ?

BW : Absolument. En 2010, une biographie détaillée de Stein a été publiée en France, écrite par Nadine Satiat. Beaucoup de Français aiment l’oeuvre de Gertrude Stein qu’ils lisent en version originale ou traduite en français. L’exposition principale d’œuvres d’art appartenant à la famille Stein qui a été présentée à travers les Etats-Unis en 2012 a remporté un réel succès au Grand Palais à Paris. Toutefois, aussi surprenant que cela puisse paraître, très peu de Français connaissent la position de Stein par rapport au gouvernement de Vichy.

AWP : Pouvez-vous nous parler de votre travail en tant qu’écrivain ?

BW : Je prends beaucoup de temps pour écrire et prête énormément d’attention au rythme. Je me relis constamment. J’ai mis dix ans à écrire ce livre. Je dis toujours à mes étudiants que l’écriture est sans aucun doute la chose la plus difficile pour moi.

AWP : Tenez-vous un journal ?

BW : J’ai déjà essayé plusieurs fois de tenir un journal mais à chaque fois je finissais par abandonner. Il y a un mois, j’ai commencé un journal qui a fini par se transformer en carnet pour mon fils pour noter les résultats de matchs de foot. J’adhère complètement à l’idée de tenir un journal mais suis juste incapable de le faire.

AWP : Vous êtes professeur d’anglais au Dartmouth College. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à l’étude de genre et de la culture ?

BW : Ma mère était féministe et mon père était un poète : qui aurait pu deviner qu’un jour je m’intéresse à l’étude de genre et à la littérature ?!

AWP : Votre travail est reconnu à travers le monde. Comment cela vous a-t-il affecté ?

BW : Merci ! Je ne sais pas si l’on peut dire « à travers le monde »… Mais en tout cas, c’était très intéressant de voir d’autres personnes réagir à mon travail, même de façon négative ! J’aimerais que mon travail puisse apporter quelque chose de nouveau au grand débat sur la vie de Stein !

ART DE VIVRE

AWP : Citez un livre, un film, une oeuvre d’art, une chanson, un accessoire de mode ou encore un plat qui vous a inspiré.

BW : Je suis constamment inspirée par la mode et par les silhouettes que j’aperçois dans la rue. En ce moment, je suis fan du look de mon amie parisienne Mira qui a coupé ses cheveux courts et les a teints dans une couleur mauve foncé. Magnifique !

AWP : Quel est le dernier livre que vous avez-lu ? Le conseillerez-vous ?

BW : Le dernier livre que j’ai lu s’appelle The Melancholy of Resistance de l’écrivain hongrois László Krasznahorkai. C’est l’un des livres les plus subtiles que j’ai pu lire jusqu’à présent. Et hilarant.

AWP : Votre vie est tout simplement extraordinaire. C’est quoi la suite ?

BW : Enseigner, voyager, donner des conférences et rester assise à mon bureau pour écrire sur la vie extraordinaire de Samuel Beckett !

Livres sur les femmes et la France recommandés par Barbara Will

Carole Maso, The American Woman in the Chinese Hat. Ce roman expérimental et romantique, dont le cadre se situe à Arles et sur la côte d’Azur, raconte l’histoire d’une femme dont la passion dévorante pour la vie et la France est condamnée d’avance.

Patrick Modiano, Dora Bruder. Même si je conseillerais tous les romans de cet auteur reconnu, il s’agit de mon préféré. L’histoire de la jeune Dora à Paris pendant les années noires du régime de Vichy est totalement bouleversante. Un livre qui aborde également des questions d’éthique.

Edna O’Brien, August is a Wicked Month. J’avais un peu plus de 20 ans quand j’ai lu ce court roman. A l’époque je vivais dans le sud de la France (où l’histoire se déroule) et ce roman était un mélange parfait d’érotisme, de finesse et d’amour torturé.

Acknowledgement : Suzy Keller, traductrice/chef de projet, traductrice anglais-français pour A Woman’s Paris.

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