par Eva Izsak-Niimura

Charente_web(English) Quels éléments déterminent une famille ? Quelle est la pierre angulaire de la société ? Bien que la définition de la “famille” soit un sujet en constante évolution, la famille dite “traditionnelle” résiste. En effet, elle a démontré une étonnante capacité à survivre au vu des forces révolutionnaires. Il est indéniable que de nos jours, les alternatives aux valeurs familiales traditionnelles sont nombreuses : le mariage gay, le PACS, les familles monoparentales… Tout cela constitue un large éventail de possibilités. Cependant les institutions s’obstinent.

Le contexte historique de la famille perdure encore aujourd’hui et contribue à créer des écarts parmi les résultats économiques observés en Europe, en Asie et aux États Unis. Ayant vécu aux États-Unis et en France, je peux personnellement témoigner de ces quelques différences à travers un compte-rendu généraliste, bien plus anecdotique que scientifique et dans lequel mes camarades expatriés pourront se reconnaître. [i]

La famille européenne traditionnelle est verticale. Cela signifie que la lignée familiale traverse les générations depuis les Pères Fondateurs jusqu’à leurs descendants. Le patriarche voit sa future incarnation dans sa descendance, le premier descendant de sexe masculin conservera le nom, le titre et la fortune de la famille. La structure se veut enracinée dans le mécanisme de la société féodale : la terre était le principal bien, parfois le seul, et la façon dont elle était gérée déterminait le sort des générations à venir. Pour résumer, l’aîné des garçons finissait par hériter des terres, il les cultivait et les transmettait à son propre fils aîné. Le second devenait prêtre, reléguant la question de l’héritage, qui par définition, ne le concernait pas vraiment. Enfin le troisième embrassait généralement une carrière dans l’armée : soit il mourrait au combat, soit il bâtissait sa propre fortune, le pillage constituant une une fin probable pour y parvenir.

Le rôle de l’épouse ne pesait pas très lourd dans cette équation. Elle était considérée comme un accessoire et non pas comme faisant partie intégrante de la lignée : comme un élément tangible, non un pillier de la famille. La réalité économique actuelle reflète largement cette réalité sociale qui a su traverser les siècles. Lorsque le patriarche décède, l’épouse n’est pas prioritaire dans l’échelle de l’héritage. Seuls les enfants sont pris en compte lors de la succession des “biens”. L’épouse est mise à l’écart, plus comme une “mendiante”, comme un proche faible, pauvre (et vieux) auquel il faudra subvenir, soit en lui permettant de profiter des fruits des biens pour le reste de ces jours – ce qui est loin d’être semblable au fait de se faire mettre à la porte mais qui ne lui concède aucun droit substantiel de propriété non plus – ou bien en lui cédant les “restes” après que les richesses seront divisées entre les descendants légaux (récemment devenus illégaux).

Les “biens”, jadis accumulés par le patriarche fondateur, appartiennent alors à une cellule familiale et non plus à une personne. Grâce aux procédés de succession quasiment automatiques, on observe une sorte de “responsabilité” transmise de génération en génération. Tous vivent avec l’obligation, tacite mais ô combien sacrée d’accroître plutôt que de dilapider ce qu’ils se sont vu confié. Les règles de l’état paternaliste imposent ces héritiers réservataires, ils ne peuvent être exclus, même par un testament. Aussi, cela crée une attente de la part des générations futures quant aux titres des biens qu’elles recevront, virtuellement, sans avoir à lever le petit doigt. A toutes fins utiles, les futurs propriétaires potentiels de ces biens ont des droits à ce sujet et un recours contre la personne actuellement responsable de ces biens dans le cas où celui-ci, par négligence ou égoïsme, mourrait en les dépossédant de ce qui leur appartient légalement.

Cette structure socio-économique ainsi que la combinaison de telles définitions de la “famille” et des “biens” ont des conséquences néfastes sur le développement de la société européenne moderne. Par conséquent, cette situation inhérente, selon laquelle les richesses d’une personne, jusqu’à un certain seuil, sont déterminées par sa naissance et non par son mérite est inévitablement la cause d’un manque de motivation et d’initiative pour obtenir ce mérite. Bien sûr, les exceptions sont nombreuses et la motivation d’une personne est en majeure partie liée aux traits de personnalité. Toutes choses égales par ailleurs, la perspective d’une “chute libre”, ou la connaissance de droits acquis sur les futurs biens rendent les jeunes Européens moins affamés, moins énergiques et au final, moins créatifs. Voici une recette idéale pour stagner. Cela pourrait constituer, du moins en partie, un élément de réponse à la question : Pourquoi tous ces brillants esprits ainsi que le capital humain de premier ordre ont été incapables de passer les vitesses de l’économie européenne ? La vie est bien trop confortable.

Cet effet se manifeste par une tendance parmi les étudiants européens à continuer leurs études jusqu’au Doctorat, par manque de pression économique, peu importe qu’ils soient intéressés ou non par une carrière académique. L’enfance est prolongée au niveau de leur vie professionnelle et par conséquent, au niveau psychologique. Les étudiants restent vivre avec papa et maman jusqu’à 25-28 ans. Leurs homologues américains, considérés comme de jeunes adultes à cet âge là doivent eux, commencer à être productifs de manière très concrète, ils doivent gagner leur vie. De plus, les coûts prohibitifs pour accéder à l’éducation dissuadent les jeunes d’opter pour une vie d’éternel étudiant. Un jeune français peut parler de l’appartement de ses parents comme si c’était son propre appartement. Il peut même les conseiller en matière d’investissement avec la perspective d’être le futur propriétaire légitime de celui-ci. Il règne un sentiment de stabilité et de sécurité dans un avenir basé sur les réussites des générations passées. Malheureusement, ce sentiment de sécurité pourrait être faussé. Dans un monde de plus en plus instable, le danger pour la génération d’Européens qui n’a pas appris à chasser pour se nourrir serait qu’elle se retrouve désarmée pour rivaliser face à de nouveaux jeunes de l’autre côté de l’Atlantique, beaucoup plus affamés.

Les États Unis sont dépourvus de passé féodal. C’est un pays qui s’est fondé sur l’industrie et dans lequel la propriété intellectuelle a autant de valeur que les terres et ce, depuis presque le tout début. Les biens peuvent se présenter sous forme de document, de brevet ou de diplôme (les diplômes acquis pendant le mariage sont considérés comme des “biens matrimoniaux” et leur valeur sera estimée et divisée dans le cas d’une procédure de divorce). À moins qu’elles n’aient été réinvesties, les fortunes qui se sont bâties sur l’industrie seront bientôt épuisées au vu des progrès technologiques. De ce fait, on attend des générations qu’elles se tiennent sur un pied d’alerte. Ces générations ne peuvent pas se reposer sur les succès passés ni en espérer une stabilité à long terme. La propriété intellectuelle a une demi-vie très limitée. Ces biens sont beaucoup plus “fongibles”, fragiles, et temporaires.

De plus, dans la société individualiste américaine, ces biens n’appartiennent à personne d’autre que la personne qui les a créés. L’idéal perçu par les américains, ce n’est pas le noble aristocrate aux ongles manucurés (même si ce genre de personnage est quelque peu fascinant), mais plutôt quelqu’un d’autodidacte. Il se définit par l’immigrant venu de nulle part et qui a bâti un empire, l’enfant d’un atelier clandestin, ouvrier, travailleur, qui est désormais professeur à la Harvard Business School et conseiller du Président. Il est le Président. Et c’est homme aux ongles sales s’estime digne de ses succès et de ses récompenses. Ils n’appartiennent pas à ses ancêtres (il n’en avait pas) ; ils n’appartiennent pas non plus à ses enfants (laissons leurs s’en créer eux-même). Ils n’appartiennent qu’à lui. En résumé, s’il prend l’envie à un vieux milliardaire de 92 ans de laisser toute sa fortune à des danseuses à Las Vegas dont les jeunes poitrines le rendent bien plus heureux dans ses vieux jours que les rares visites de ces descendants, qui viennent plus par devoir que par plaisir – tant qu’il est juridiquement apte – il est le maître de son propre royaume. Aucun état ne ferait respecter ses lois au détriment de la volonté propre d’un homme, peu importe si cette dernière volonté est ridicule.

S’il est rare de remplacer ses enfants, il n’est pas inhabituel de remplacer sa femme ou son mari par un modèle plus jeune et amélioré. Toutefois, c’est cet ensemble le moins solide époux-épouse qui constitue le fondement de la famille américaine. La structure est horizontale, chaque couche, chaque génération constitue une famille. Cette structure est basée sur des choix. Chaque union sacrée (du moins le temps que cette union demeure) est le choix de deux personnes désireuses d’être ensemble. Les enfants, s’ils en ont, sont tendrement élevés dans ce nid. A leur 18ans, ils sont vivement encouragés à voler de leurs propres ailes (et à découvrir leur propre limite concernant la consommation de bière) à la fac. Ils sont les bienvenus pour Thanksgivings et les autres occasions spéciales. Ils font toujours partis de la famille mais ils sont replacés en dehors du couple nucléaire. Arrivés à cette partie de leur vie, on attend d’eux qu’ils se construisent un futur qui constituera leur propre unité époux-épouse (ou l’une quelconque des formes du couple).

On attend également d’eux qu’ils bâtissent leur propre fortune. La « maison familiale » n’est plus leur maison. Lorsqu’ils viennent passer quelques jours chez leurs parents, ils occupent désormais la « chambre d’amis ». Ils en hériteront peut-être mais quoi qu’il en soit, la conjointe survivante reste la première légataire de l’héritage. Par ailleurs, à supposer qu’il n’existe pas de testament léguant lesdits biens à l’église ou à la synagogue locale, à un refuge pour animaux ou à une autre de ses associations caritatives préférées, ils pourront recevoir les restes laissés par la conjointe survivante. Il se peut qu’ils aient largement diminués à ce stade. En clair, ils prient pour que la dame n’ait pas une passion pour les chaussures.

En fait, dans la majorité des cas, la femme (en supposant que ce soit la femme) n’est pas la dernière diplômée du club de striptease. C’est une personne âgée, possiblement malade qui a dépassé depuis longtemps l’âge de la retraite et qui, après avoir passé des années à prendre soin de son époux avec amour, mérite de finir sa vie dans la dignité. La législation américaine reconnaît qu’il est plus approprié de subvenir aux besoins d’une personne veuve, trop âgée pour trouver des revenus plutôt qu’à des jeunes qui devraient être au somment de leur carrière et en pleine possessions de leurs facultés.

Cette structure socio-économique crée un monde totalement différent de perspectives et d’initiatives pour les générations futures. Les jeunes américains espèrent commencer leur vie avec une page blanche, enfin à moitié blanche puisque l’éducation et l’origine sociale restent des facteurs importants. Leurs réussites futures reposent principalement sur leurs épaules et c’est à eux-seuls qu’en reviendra tout le mérite. Les risques sont plus élevés, pas de filet de sécurité sous leurs pieds mais les récompenses le sont tout autant. Chaque génération crée sa famille, ses responsabilités et son destin, rien n’est prédestiné. Ce nouveau départ, cette liberté que possède chaque génération, de se réinventer, c’est peut être cette énergie, cette vitalité, cet optimisme, si souvent cités par les touristes visitant les États-Unis. C’est ce qui maintient le pays jeune et ambitieux, bien qu’il soit riche et donc destiné à décliner.

Les parents européens sont-ils plus protecteurs ? Est-ce qu’ils procurent un sentiment de stabilité plus grand ? Leur famille est-elle plus dévouée ? Non, je ne pense pas. La surprotection engendre un manque de confiance, la peur de se lancer, d’échouer de prendre des risques. Au final, les jeunes à qui l’on a donné la chance de se battre avec des défis à relever ont confiance en eux, en leur capacité de trouver des solutions. Quant aux parents, en les laissant se débrouiller petit à petit, ils témoignent toute la confiance qu’ils ont en la force de leurs enfants, en leurs capacités et en leur propre sagesse. Petite parenthèse, l’argent investi par les parents américains dans l’éducation de leurs enfants est loin d’être inférieure. C’est bien souvent supérieur à la valeur future d’un appartement parisien. Le vieil adage selon lequel il est plus profitable à un Homme d’apprendre à se nourrir plutôt que de recevoir à manger est ici vérifié. L’école française est certes gratuite mais une éducation dans un établissement de l’Ivy League est une véritable poule aux œufs d’or. Un appartement, lui, nécessite un entretient régulier et coûteux.

Quant à la stabilité, c’est peut-être surfait. Ce point d’honneur que met la famille américaine sur le bonheur personnel et non sur le martyre parental apporte un sentiment rafraîchissant et de liberté. En ayant grandi dans l’étreinte confinée d’une mère qui s’est sacrifiée et qui me rappelle chaque jour l’immense dette que je lui dois pour le reste de sa vie, je trouve que la façon dont les parents américains poussent leurs petits dehors est une forme d’amour et de liberté. Ni les réussites de leurs parents, ni le blâme des échecs occasionnels ne leur sont octroyés. J’aimerai pouvoir traduire cette liberté en français.

[i] Avertissement : Ce qui énoncé ci-dessus est basé sur de vagues notions de droits français et américains sur la famille et l’héritage et ne doit pas être considéré autrement que des impressions et opinions personnelles à ce sujet.

Remerciements : Julie Valdre, étudiante en Master Traduction anglais-chinois à l’Université Paul Valéry Montpellier et traductrice pour A Woman’s Paris.

Eva Izsak-Niimura photo casual cropped copyEva Izsak-Niimura est née en Transylvanie (une province magyarophone de Roumanie) et a suivi ses études en Israël. Pendant plus de 20 ans, Eva a pratiqué le droit dans les plus grands cabinets juridiques de New York. Elle a également exercé le poste de conseillère juridique pour les institutions financières américaines et françaises avant de se lancer dans une carrière d’écrivain. Eva, mère de deux filles, a habité à Tel Aviv, Tokyo et New York. Elle vit désormais à Paris où elle travaille sur son premier roman.

For Love or Money: Marriage and Divorce in the French capital (1880-1941) – Excerpt from Nancy L. Green’s “The Other Americans in Paris”. Nancy L. Green introduces us for the first time to the Right Bank American transplants. There were newly minted American countesses married to foreigners with impressive titles, American women married to American Businessmen, and many discharged American soldiers who had settled in France after World War I with their French wives. The book details the politics of citizenship, work, and business, and the wealth (and poverty) among the Americans who staked their claim to the City of Light.

French Impressions: Nancy L. Green on the “other” Americans; Right Bank expatriates in 20th century ParisWhile Gertrude Stein hosted the literati of the Left Bank, Mrs. Bates-Batcheller, an American socialite and concert singer in Paris, held sumptuous receptions for the Daughters of the American Revolution in her suburban villa. History may remember the American artists, writers, and musicians of the Left Bank best, but the reality is that there were many more American businessmen, socialites, manufacturer’s representatives, and lawyers living on the other side of the River Seine. Nancy L. Green recounts the experiences of a long-forgotten part of the American expatriate population.

French women do get wrinkles, by Paris-based Eva Izsak-Niimura who writes about the super Frenchy myth of the coquettish French nymph—her “je ne sais quoi”—in her ballerina shoes, hair effortlessly tied in a messy chignon blowing in the wind, large sunglasses on her naked, no make-up, nevertheless beautiful eyes, and how we are all measured by it.

l’Américaine, by Paris-based Eva Izsak-Niimura who writes about the myth of the unsophisticated and pathetically naïve American where book after book and article after article there is the lament of the hopeless quest of the American woman to resemble her French counterpart. 

Indulge at Le Meurice Hôtel, Paris, by Paris-based Eva Izsak-Niimura who shares how to achieve a bit of luxury, when “constraint” is a word more in vogue than “indulgence,” at Le Meurice Hôtel, Paris, for afternoon tea or evening cocktails.

Vive La Femme: In defense of cross-cultural appreciation. Kristin Wood finds Francophiles around the world divided about Paul Rudnick’s piece entitled “Vive La France” in the New Yorker magazine. As is often the case with satire, there is a layer of truth to the matter that is rather unsettling. Including comments from readers worldwide. (French)

French Impressions: Eva Izsak-Niimura-Fourcans on the richness of experiencing other cultures firsthand. Eva Izsak-Niimura-Fourcans, who has lived and worked on three continents, writes about her experiences as a young wife and mother in Tokyo, a professional and working mother in New York, and currently at a more mature stage in Paris, and the mix of feelings of being at the same time at home everywhere and nowhere.

Children fashionistas: Why French children dress better than you do. French au pair Alyssa Glawe tells that a child’s clothes in France are more than just something to cover the body. “It’s safe to say that, French parents would never put an item of clothing on their child that they would not wear themselves,” she writes “Comfort is important, but in all truth, it’s really about the fashion.” Including a list of children’s labels and websites.

Smell and Taste, Sensation and Pleasure, by French writer Laurence Haxaire who explains the “smart” education of the French child who is taught to recognize and describe the flavours, the feeling of taste, and most importantly, what they like or dislike. Hauxaire’s introduction to the world of flavour is all about sensations and pleasure. She urges audiences to “tell what you feel.”

A behind-the-scenes look at French parenting, by au pair Alyssa Glawe who asks, “How do the French have such polite and courteous children without lifting a finger?” For Alyssa, every day leads to new cultural shocks and humorous situations. 

Text copyright ©2015 Eva Izsak-Niimura. All rights reserved.
Illustrations copyright ©2015 Barbara Redmond. All rights reserved.
barbara@awomansparis.com