Sénégalais femme, par Michelle Schwartzbauer

Michelle Schwartzbauer

Par Ashley Steele

(English) Après trois changements d’avion et une correspondance à Minneapolis, j’ai raté mon vol à New York et j’ai dû passer la nuit dans un hôtel près de l’aéroport sans mes bagages que j’avais déjà enregistrées. Le lendemain, j’ai supplié un employé d’Iberia Airlines pour qu’il valide mon billet de la veille pour un vol vers Madrid en Espagne. Encore un vol raté. J’étais épuisée. Je me suis alors demandée si j’avais fait le bon choix de partir étudier à Dakar au Sénégal. Mais il était trop tard pour faire marche arrière. Je n’étais plus inscrite à mon université et j’avais quitté mon boulot.

Ca y est, j’étais finalement en route… Alors que l’avion s’élançait sur la piste, mon cœur battait la chamade. J’étais au comble de l’excitation. J’avais l’estomac complètement noué.

Mon voisin de siège, Mamou, que j’avais rencontré lors de ma dernière correspondance entre Madrid et Dakar au Sénégal, m’a aidée à trouver mon chemin dans l’aéroport de Dakar, qui était complètement différent de ceux que je connaissais aux Etats-Unis. Mamou, originaire du Sénégal et vivant en Italie, venait rendre visite à sa famille. Il m’a aidée à porter mes bagages dans l’escalier, sur le tarmac et jusqu’à la navette qui nous a emmenés au terminal, et il est resté avec moi jusqu’au passage de la douane. Mamou a repoussé plus d’une demi-douzaine de personnes agglutinées dans l’espace réservé au retrait des bagages, à l’affût des occidentaux comme moi pour les aider à porter leurs valises. « Ils scrutent le tapis roulant, attrapent tes sacs et parfois n’acceptent de te les rendre que contre une importante somme d’argent » m’a-t-il expliqué. Un accueil plutôt rude pour les Occidentaux peu méfiants.

En sortant du terminal, Mamou m’a regardée avec l’air de dire : «T’es sûre que je peux te laisser ? » Nous avions tous les deux aperçu l’homme qui tenait une pancarte de CIEE qui était censé m’emmener à ma destination finale, Dakar. J’avais expliqué à Mamou que j’étais étudiante et que je faisais mes études à l’étranger avec le Conseil d’échange éducatif international (CIEE). Nous étions arrivés au bout de notre voyage ensemble et hésitions à nous quitter. Nous nous sommes dit bonsoir, je l’ai remercié et nous nous sommes séparés.

L’homme à la pancarte qui m’a accueilli avait la quarantaine et était grand et mince. Il portait une robe grise à manches longues avec des babouches blanches ainsi qu’un chapeau blanc, rond et brodé. Devant le terminal, nous nous sommes frayés un chemin à travers une foule d’au moins 150 personnes qui n’arrêtaient pas de crier en français et en anglais « Madame, Madame ! Echange de l’argent ! Crédit Orange! Vous avez besoin d’un taxi ? Taxi! Right this way! Let me help you with your bags! Madame, Madame ! Viens ici ! ». Il m’a conduit jusqu’à un hôtel à Dakar où j’allais passer une semaine d’intégration avec les autres étudiants en échange universitaire.

Je suis afro-américaine. J’étudie le français. Et j’ai choisi d’étudier à Dakar au Sénégal parce que je voulais découvrir une culture non-occidentale. Alors que je planifiais mon voyage, je m’imaginais un retour aux sources émouvant. Ou, tout du moins, un sentiment profond lorsque je foulerai le sol africain.

Je ne connaissais pas bien les Sénégalais ni leur culture avant mon arrivée, mais j’espérais que mes racines africaines me permettraient d’aller au-delà de nos différences et m’apporteraient ce sentiment d’appartenance dont j’avais rêvé et que je n’avais jamais ressenti aux Etats-Unis. Le terme sociologique pour ce sentiment est « déplacement permanent. » Aux Etats-Unis, les afro-américains sont des citoyens comme les autres et pourtant ne se sentent jamais vraiment « chez eux ».

J’ai vite réalisé que le Sénégal ne suffirait pas à développer ce lien d’appartenance avec le continent africain, le pays de mes ancêtres. Mais au lieu de me lamenter sur mon sort, j’ai préféré oublier cette obsession et apprécier ce que chaque jour m’offrait. Je me souviens de ma mère qui ne cessait de me répéter : «Profite de tous les instants car ils ne seront bientôt plus qu’un souvenir. » Avec du recul, je me rends compte que c’est en cessant d’être obsédée par ce sentiment que j’ai pu mieux profiter de mon séjour.

Avant de venir vivre au Sénégal, je ne comprenais pas ce que me trouvaient ma famille et mes amis physiquement. J’ai grandi à la ville mais j’étais scolarisée dans des établissements publics et privés de banlieues chics. Je n’ai donc jamais pu vraiment m’entendre ni avec mes camarades afro-américains ni avec mes camarades de classe blancs. Tiraillée entre deux univers, je ne voyais que mes défauts.

Même si j’ai appris, avec le temps, à vivre avec mon physique (j’ai appris à avoir plus confiance en moi à mon entrée au lycée), au fond de moi-même, je voulais toujours ressembler à l’archétype de la femme occidentale que l’on voit toujours sur les couvertures de magazines : peau blanche, yeux clairs, grande et élancée. L’une des différences les plus marquantes entre les Etats-Unis et le Sénégal est la quantité de publicités mais aussi leur contenu. Au Sénégal, presque toutes les publicités mettent en avant la nourriture ou les produits ménagers et la plupart d’entre elles mettent en scène des Africains. Le manque de publicité occidentale m’a obligée à chercher l’inspiration dans mon entourage, et les femmes sénégalaises sont devenues mes références.

Ce qui m’a le plus fascinée, dans un pays avec un taux de chômage de 48% où chacun se bat chaque jour pour pouvoir mettre du pain sur la table, est la fierté avec laquelle hommes et femmes prennent soin de leur apparence et l’argent qu’ils dépensent pour ce faire. Les femmes sénégalaises portent souvent des boubous, de longues tuniques amples aux manches longues, brodées au niveau du décolleté ainsi que des jupes assorties et des foulards de toutes les couleurs sur la tête. Elles portent aussi ce qu’on appelle des taibas, la tenue traditionnelle : des robes à motifs qui ont la particularité de dévoiler les épaules ou bien d’avoir des cols ronds, parfois fendues au niveau du décolleté ou des ourlets. Elles sont en coton, plus rigides que les boubous, et souvent associées avec un foulard de même couleur noué de manière à former un noeud sur le devant de la tête. Les hommes portent des boubous traditionnels avec des pantalons assortis et quelquefois associés à des babouches et des chapeaux ronds et brodés de couleurs assorties. Là-bas, les vêtements traditionnels peuvent être portés autant au travail que pour faire ses courses. Les vêtements de style occidental sont aussi répandus, particulièrement parmi les adolescents et les étudiants.

Une autre différence culturelle qui m’a marquée est la culture des cheveux naturels. Les afro-américains ont tendance à être obsédés par leurs cheveux et en changent souvent la nature pour avoir des cheveux raides et lisses. Au contraire, au Sénégal, les femmes se coiffent de plusieurs façons qui mettent toujours en avant la beauté des cheveux crépus africains : des nattes africaines, des tresses, des permanentes ou des lissages ou encore des chignons. C’était la première fois que je vivais dans un endroit où les produits capillaires sont destinés aux personnes avec des cheveux comme les miens. Les publicités sur les portes des nombreux salons de coiffure présentaient des femmes noires avec des tresses ou des nattes africaines, et quelquefois, des hommes aux crânes rasés à la tondeuse. J’assistais à une complète inversion des rôles avec mes camarades de classe : les filles blanches ne pouvaient pas aller chez le coiffeur car personne ne savait travailler leur type de cheveux et les garçons blancs et asiatiques pouvaient seulement avoir le crâne rasé car les coiffeurs sénégalais n’utilisent que la tondeuse pour couper les cheveux des hommes.

Mes nouveaux amis africains m’ont peu à peu aidée à avoir davantage confiance en moi. Je me suis dit : si les femmes sénégalaises peuvent être fières de leur apparence et aimer leur corp et leurs cheveux crépus et ce malgré les obstacles qu’elles rencontrent au jour le jour, pourquoi ne pourrais-je pas faire de même ?

Sûre de mes compétences linguistiques en français, je suis partie à la recherche de marchés dans la ville. Au marché HLM, le plus grand marché de tissu au Sénégal, et au marché Sandaga, le plus grand marché au Sénégal en général, j’ai acheté une grande variété de tissus aux divers couleurs et motifs que je pourrais transformer en robes et jupes.

Après avoir eu des résultats mitigés avec le tailleur de ma famille d’accueil à Mermoz, je suis allée chez un tailleur nommé Doudou qui travaillait dans le quartier voisin d’Ouakam. Grâce à lui et son travail, je suis devenue accro au travail de tailleur : les visites des marchés à l’affût des plus beaux tissus et le waxaale (c’est-à-dire négocier le prix avec les marchands), dessiner mes propres robes et aider le tailleur pendant qu’il fait les dernières retouches.

J’ai développé un style qui était bien à moi, en créant des tenues qui mettaient en avant mon corps et mon teint. Sans utiliser aucun modèle, j’ai dessiné mes propres vêtements après avoir passé plusieurs heures en ligne à la recherche de styles de robes différents. Alors que la fin du semestre approchait, je me suis fait tressée les cheveux. Mon nouveau style m’a permis d’avoir un nouveau regard sur moi-même, particulièrement en ce qui concerne la texture de mes cheveux et mon teint. Pour la première fois de ma vie, je me sentais belle.

A l’âge de 14 ans, dès le moment où j’ai entendu parler du Sénégal, j’ai senti que quelque chose de spécial m’attendait là-bas. Quelque chose que je devais découvrir. Le Sénégal m’a donné bien plus que je n’aurais jamais imaginé : un nouveau style et, surtout, une nouvelle facette de moi-même. J’ai découvert que je pouvais être plus forte et avoir plus confiance en moi que ce que je pensais. Je ne pense pas que j’aurais gagné autant d’assurance si j’avais étudié ailleurs. Je pensais que cette expérience au Sénégal changerait mon point de vue du monde, mais je n’imaginais pas que ce séjour à Dakar changerait l’image que j’avais de moi. 

Remerciements: Nous remercions les personnes qui ont contribué à cet article : Bailey Roberts, étudiant de la linguistique et du français à Macalester College à St. Paul, MN; et Elyse Rozina, Rédactrice en Chef de Traduction à A Woman’s Paris, étudiante du Français et de l’Italien à L’Université de Minnesota Twin Cities, Suzy Keller, traductrice diplômée de l’ITI-RI

Ashely Steel portrait cropped copyAshley Steele est diplômée de St. Catherine University où elle s’est spécialisée en sociologie et a également étudié le français, les études sur la race et l’ethnicité. Elle a commencé à étudier le français à l’âge de 12 ans et a étudié à Dakar au Sénégal pendant un semestre en 2009. Elle habite maintenant à Minnetonka, MN, et elle s’oriente vers une carrière dans le commerce  où elle espère faire usage de sa connaissance du français.

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Illustration copyright ©2013 Michelle Schwartzbauer. All rights reserved.
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