Kaplan author photo tif - jpg crop horiz(English) Alice Kaplan, auteur et professeur de littérature française, est née en 1954 à Minneapolis. Elle a fait ses études à l’Université de Californie – Berkeley et à Yale, où son doctorat en littérature française lui a été remis en 1981. Sa carrière d’enseignante l’a emmenée de l’Université de l’Etat de la Caroline du Nord à l’Université de Columbia puis à l’Université Duke. En 2009, Kaplan a été nommée professeur à Yale, où, depuis 2012, elle dirige le Département de Français.

Trois Américaines à Paris: Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis a été publié en anglais en avril 2012 aux éditions University of Chicago Press et en français en octobre 2012 aux éditions Gallimard (traduction de Patrick Hersant).

Trois Américaines à Paris: Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis a été publié en anglais en avril 2012 aux éditions University of Chicago Press et en français en octobre 2012 aux éditions Gallimard (traduction de Patrick Hersant).

Historienne de la vie culturelle en France au XXe siècle, et plus particulièrement de la période de l’occupation allemande et de la Libération, Alice Kaplan est l’auteur d’Intelligence avec l’ennemi: le procès Brasillach, Los Angeles Book Prize en 2001, L’interprète, Henry Adams Prize en 2006, et de French Lessons : A Memoir (1986), récit qui témoigne de son histoire d’amour avec la langue française. Son livre le plus récent. Trois Américaines à Paris : Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis, paru l’automne dernier aux Editions Gallimard, aborde cette même passion pour la France, mais du point de vue de trois Américaines légendaires qui furent transformées par une année d’études en France. A part les traductions de ses trois essais chez Gallimard, elle publie aussi directement en français. Signalons un essai sur Malcolm X: A Life of Reinvention de Manning Marable dans la revue Critique : “Malcolm, né et rené sous X” (juin 2012), ainsi que de nombreux articles pour Contreligne (www.contreligne.eu).

Alice Kaplan est également traductrice de fictions et d’essais, notamment Another November (1998) et The difficulty of being a dog (2000), et A Box of Photographs (2013), tous trois de Roger Grenier, ainsi que Madame Proust d’Evelyne Bloch-Dano (2007) et OK, Joe de Louis Guilloux (2003).

Titulaire de nombreuses bourses (National Endowment for the Humanities, Fondation Guggenheim, Stanford Humanities Center, National Humanities Center), elle est membre, depuis 2010 de l’American Academy of Arts and Sciences et membre du conseil des écrivains de l’American Heritage Dictionary. Elle vit à Guilford, Connecticut, et à Paris.

INTERVIEW

Trois Américaines à Paris: Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis

AWP: Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

AK : Depuis maintenant plus de trente ans, j’observe mes étudiantes se préparer pour leur semestre d’études à l’étranger et je les vois revenir transformées. En France elles se créent un style; elles gagnent en confiance, en ouverture sur le monde. J’ai voulu étudier de près cette belle transformation en entrant dans l’univers de trois femmes extraordinairement célèbres et douées—voire uniques—qui ont fait des etudes en France. Mon défi: comprendre comment leur année en France les a changées et en quoi elles-mêmes ont contribué à changer notre pays grâce à cette expérience.

AWP: Pourquoi avez-vous pensé que c’est aujourd’hui le bon moment pour publier votre livre Trois Américaines à Paris ? Ressentiez-vous le besoin de faire connaître une époque et un lieu particuliers aux étudiants vivant actuellement à l’étranger ?

AK : Il y a comme une menace d’extinction pour les études à l’étranger « à l’ancienne » – immersion linguistique, séjour chez l’habitant, insertion dans une université française. Nombre de grandes universités créent leur propre campus à l’étranger comme à Singapour ou Abu Dhabi. D’autres offrent un programme d’études en France où l’ensemble des cours est dispensé en anglais. Je voulais rappeler un âge d’or des études à l’étranger, quand nous avions le sentiment d’avoir tant à apprendre des autres pays – à une époque ou les Américains prenaient, plus qu’ils ne donnaient, des leçons. Et où les étudiants faisaient le vœu de ne parler aucune autre langue que le français – même entre eux.

AWP: Pourquoi ces trois femmes – si différentes – et pourquoi avoir décidé d’écrire sur elles dans un même ouvrage ?

AK : Ces trois personnalités, icônes de l’Amérique d’après-guerre, adoraient la France – mais pour des raisons différentes. La France de Bouvier était esthétique, celle de Sontag bohémienne et celle de Davis politique. Ces différences m’ont permis de faire connaître des expériences diverses et d’offrir aux lecteurs plusieurs points d’accès à l’histoire et à la culture françaises.

AWP: Qu’avez-vous appris de plus surprenant à propos de chacune d’elles ?

AK : J’ai été surprise par le talent littéraire de Jacqueline Bouvier Kennedy, son don pour les images dans l’écriture de ses nouvelles, de ses lettres et de ses préfaces. Chez Susan Sontag, c’est sa vulnérabilité sous sa féroce personnalité intellectuelle qui m’a surprise, ainsi que sa façon déterminée d’apprendre le français en mettant au point sa propre méthode linguistique. En ce qui concerne Angela Davis, je ne me doutais pas le moins du monde qu’elle était devenue une telle personnalité pour les Français. J’ai appris que lorsqu’elle était en prison en attente de son procès, les écrivains mêmes qu’elle avait étudiés à l’université à Paris militaient en sa faveur.

AWP: Parlez-nous de vos recherches pour entreprendre cet ouvrage. Quels ont été les défis et comment avez-vous mis au jour ces histoires ?

AK : J’ai commencé par contacter l’association des anciennes élèves du Smith College. Ils ont envoyé ma demande d’informations aux étudiants ayant participé au Smith program de 1949-1950 à Paris. De nombreuses femmes m’ont écrit sur cette expérience ayant bouleversé leur existence, à propos de leur vie intellectuelle à Paris, de leurs voyages, des souvenirs de leur vie quotidienne. Ce qui m’a particulièrement amusée, c’était de m’intéresser à cette expérience d’études à l’étranger des deux côtés de l’Atlantique : en France, en interviewant des familles d’accueil ; aux États-Unis, en parlant aux étudiantes qui sont parties à l’étranger avec Angela Davis et Jacqueline Bouvier ; en contactant le cercle d’amis parisiens de Susan Sontag des années 1957-1958. J’ai vécu de belles découvertes dans les bibliothèques et les archives : j’ai trouvé la lettre de remerciements de Jacqueline Bouvier au général de Gaulle aux Archives Nationales de France ; à Stanford les milliers de lettres écrites à Angela Davis en prison ; à UCLA les journaux intimes de Susan Sontag et sa correspondance. Mes recherches m’ont emmenée de Paris à la Côte Ouest !

AWP: Qu’est-ce que vous aimez le mieux chez chacune des ce femmes ?

AK : J’ai été étonnée par la modestie de Jacqueline Bouvier et touchée par le bonheur profond qu’elle trouve à la fin de sa vie. Avec Sontag, j’ai été enchantée de découvrir les listes de mots qu’elle avait établies en tant que jeune femme en France et par le pense-bête écrit dans son journal intime de Paris : elle devait lire le Code Napoléon ! Chez Angela Davis, j’ai admiré son engagement, sa capacité à émettre des hypothèses, à mûrir au cours d’expériences tragiques et j’admire aussi son amour pour l’enseignement.

AWP: Qu’est-ce qui rend la France si spéciale aux yeux des femmes ?

AK : C’est la grande question! Aujourd’hui, d’après ce que j’ai pu comprendre, 75% des étudiants de français sont des femmes. Il y a des arguments historiques : la France est liée aux produits de luxe, à l’art de la séduction, soi-disant un art féminin. Mais en ce qui concerne les femmes que j’ai étudiées, il est important de rappeler que leur séjour en France se situe avant la seconde vague du féminisme. La Femme mystifiée, de Betty Friedan, a été publié en 1963, juste au moment où Angela Davis partait grâce au Hamilton Program. Ces trois femmes vivaient dans une période socialement repressive, sans mouvement féministe en activité. D’après les coutumes sociales des années 1950 et 1960, une femme devait –au moins ! – être fiancée lors de sa dernière année d’université. Chaque femme de mon livre a trouvé, chacune à sa manière, un endroit où elles pouvaient se promener et explorer, loin de leurs familles et de ce qu’on attendait d’elles..

AWP: Napoléon Bonaparte (1769-1821), empereur des Français, qui a établi la structure bureaucratique de la France moderne, mais pragmatiste réactionnaire envers les femmes, écrivit dans une lettre datant de 1795 : « Une femme a besoin de six mois de Paris pour connaître ce qui lui est dû et quel est son empire ». Cette citation trouve-t-elle une résonnance avec la vie des femmes dans votre livre ? De quelle façon cette affirmation de Napoléon se vérifie-t-elle avec votre vie à Paris ? De quelle manière cette affirmation est-elle comprise par les femmes d’aujourd’hui ?

AK : J’ai pris plaisir à découvrir cette citation grâce à A Woman’s Paris. Elle aurait pu être une épigraphe pour Trois Américaines à Paris – j’aurais juste aimé qu’il dise une année !

Cette citation vient d’une lettre envoyée par Napoléon à son frère Joseph, en 1795, pendant la dernière période de la Révolution Française, après la Terreur. Je n’ai pas pu résister à regarder l’original !

Imaginez le jeune Corse à Paris. Il a tout juste 26 ans, s’identifiant à ces femmes somptueuses montées à la capitale, dans la grande tradition française de la provinciale ambitieuse. Il dit que les femmes doivent venir à Paris pour « connaître leur empire ». Napoléon devait déjà rêver de son propre empire à travers ces femmes…

(Jacqueline Bouvier était la descendante d’un ébéniste nommé Michel Bouvier ayant combattu dans l’armée de Napoléon et qui, lors de la Terreur Blanche, à émigré à Philadelphie où il s’est établi en tant qu’ébéniste pour Joseph Bonaparte, également en exil. Il y a donc une charmante résonnance entre cette lettre et les racines françaises de Jacqueline Bouvier.)

ALLER À L’ÉTRANGER

AWP: Vous êtes-vous retrouvée dans les expériences de ces trois femmes ? Décrivez vos propres « années parisiennes ».

AK: J’ai décrit mon année à l’étranger, à Bordeaux en 1973-1974, dans French Lessons. Trois Américaines à Paris m’a permis d’imaginer ce que cela aurait été d’aller vivre plutôt à Paris. Désormais, Paris est la ville où je passe mes étés – tellement d’étés que chaque rue est associée à un souvenir, voire plusieurs strates de souvenirs. Je n’oublierai jamais le jour où je descendais le Boulevard Saint-Germain et où j’ai vu Susan Sontag au Café de Flore, écrivant dans son carnet. Il m’a semblé alors que ce siège lui était réservé pour toute l’éternité, et que dans ce café-là ou dans un autre, il y en aurait tojours un pour un être comme elle, un écrivain qui rédige son journal afin de mieux saisir le monde.

AWP: En plus d’être étudiantes en histoire et culture française, littérature et politique, quelles sont les nuances culturelles françaises, attitudes, idées ou habitudes adoptées par Bouvier, Sontag et Davis ? Dans quels domaines avez-vous adhéré à cette même esthétique ?

AK : L’esthétique française peut s’exprimer de façon très simple, comme à travers la manière de tracer les chiffres (les Américains et les Français tracent en effet le chiffre sept de manière différente), ou de façon plus complexe comme par la garde-robe de Jacqueline Kennedy : elle a compris en 1960, comme l’exprime son styliste Oleg Cassini, que « les vêtements racontent une histoire ». Ses robes trapèze si caractéristiques de son style ont été inspirées par Givenchy – le même couturier qui a habillé Audrey Hepburn dans le film Sabrina, le conte de fées d’études à l’étranger de Billy Wilder. Pour Susan Sontag, Paris était un lieu où l’on pouvait être un intellectuel sans être un professeur. Elle a ramené à New York ce rêve d’une vie intellectuelle en-dehors de l’université. Pour Angela Davis, un rêve d’enfance, être d’origine Martiniquaise, a résonné tout au long de sa vie. On le devine dans sa réceptivité aux problèmes raciaux en France, dans sa compréhension de la décolonisation et de l’identité noire. Il n’y a pas une seule esthétique française, mais il y a un impératif esthétique en France – et c’est quelque chose que je ressens chaque fois que je marche dans une rue de Paris.

AWP: Dans votre livre Trois Américaines à Paris, vous suggérez que chacune de ces trois femmes étaient prédisposées, chacune à leur manière, envers la France : par un rêve, leur famille ou un contexte culturel à cette période. Elles tenaient déjà un morceau de leur récit français avant de voyager. Était-ce le cas pour vous et si oui, comment ?

AK : En CM2 (le “5th grade” américain), en cours de français, nous avons dû choisir un prénom français pour nos contrôles et nos rédactions, un nom par lequel nous voulions être appelées. J’ai choisi Jacqueline, d’après Jacqueline Kennedy (je n’étais pas la seule dans ces années-là…). Donc mener des recherches sur l’éducation française de la vraie Jacqueline Bouvier était un moyen de boucler la boucle, de déconstruire mon mythe d’enfant. Pour moi, la France était représentée par Madeline l’écolière, marchant en rang, bien droit ; c’était de Gaulle, plus grand qu’aucun autre chef d’État dans le cortège funéraire de JFK ; c’était la reproduction de Seurat qui était accrochée dans notre salon et c’était le coq au vin que j’avais cuisiné avec mon amie Priscilla, dont la mère, une professeur de français au lycée, avait passé son avant-dernière année d’université à Paris dans les années 1930, avec le Smith Program.

AWP: Jackie Kennedy, Susan Sontag et Angela Davis parlaient-elles bien français ? Et si oui, comment vous en êtes-vous rendue compte ?

AK : J’ai passé des heures à L’Institut National Audiovisuel de la Bibliothèque Nationale de France, à écouter des interviews à la radio et à la télévision de ces trois femmes. Jackie possédait un français élégant et classique ; elle pouvait prononcer une phrase comme « je n’ai pas cet orgueil » qui semblait sortir tout droit d’un roman du XVIIème siècle. Et elle savait comment dissimuler une erreur. Susan Sontag parlait français bravement et avec force, sans trop s’inquiéter de son intonation. Elle était vraiment elle-même dans cette seconde langue. Angela Davis, lors de ses entretiens à la télévision, avait une connaissance de la grammaire la plus avancée des trois ; elle pouvait utiliser le subjonctif pour débattre de problèmes politiques et sociaux. Sa mère d’accueil aimait à dire « Angela a toujours le mot juste ».

AWP: Dans votre livre, Trois Américaines à Paris, vous posez une question frappante sur les amies d’école de Jacqueline qui étaient photographiées dans l’ombre d’un panneau de signalisation, rendant hommage au Sens Interdit. Vous écrivez « […] qu’avait-elles décidé qui leur était interdit à elles, Américaines à Paris ? » Où n’iraient-elles pas ? Est-ce que le concept de l’interdit définit ou forme l’expérience de Jacqueline, Susan et Angela ?

AK : Des trois, Susan Sontag était celle qui était le plus attirée par l’interdit. Elle a abandonné un mariage et un jeune enfant pour passer une saison à Paris avec son amante, Harriet. A Paris, elle n’avait plus besoin d’avoir peur de son homosexualité. Les deux autres ont brisé d’autres barrières : Jacqueline Bouvier a ressenti qu’il lui était permis, en France, d’explorer la vie de l’esprit. A Birmingham, Alabama, Angela Davis et sa sœur prétendaient qu’elles venaient de la Martinique pour pouvoir être servies sur le devant d’un magasin de chaussures. Pour une Afro-américaine dans l’Alabama de Jim Crow, le lieu public le plus banal était interdit, et la France – à la fois imaginaire et réelle – représentait une issue.

AWP: Comment la conception des études à l’étranger a-t-elle changé depuis que ces femmes y sont allées ? Internet et les autres nouvelles technologies ne rendent-elles pas obsolètes l’expérience d’étudier à l’étranger ?

AK : Facebook, les portables, internet, laissent les étudiants en contact permanent avec leurs familles et amis américains. Au temps de Jacqueline Bouvier, vous pouviez passer des mois sans parler à vos parents – et cette indépendance, qui pouvait tout aussi bien être frustrante qu’exaltante, les a fait devenir les femmes qu’elles ont été. Mais les nouvelles technologies ont beaucoup à offrir : elles permettent aux étudiants de se créer de nouveaux groupes d’amis français, d’expérimenter la langue et d’approfondir leurs découvertes. Avec la technologie, tout dépend de ce que vous en faites – vous pouvez l’utiliser pour vous ouvrir au monde ou pour vous en détourner.

AWP: Que pensez-vous que les hommes et les femmes vivant à l’étranger en tant qu’étudiants apportent aux Français ?

AK : Les étudiants américains ont une conception magnifique de l’apprentissage ; ils ne sont pas timides en classe et on ne leur a pas enseigné à étudiier pour avoir de bonnes notes. Cela représente parfois un défi pour mes collègues français, mais ils sont enchantés de découvrir l’expérience d’enseigner à des Américains et vont même souvent jusqu’à transformer leurs propres classes.

AWP: Plusieurs de nos contributeurs ont étudié en France ou dans des pays francophones. De nombreux abonnés à AWP se préparent à étudier ou vivre à l’étranger. Que leur diriez-vous ?

AK : Mes étudiants américains ont des emplois du temps de ministre ; leurs jours sont remplis d’activités extrascolaires, de rendez-vous, clubs, en plus de leur travail scolaire quotidien. Je leur dirais : en France, ralentissez ! Perdez-vous ou ennuyez-vous ! Je leur conseillerais de contempler le haut des immeubles de chaque rue de Paris, d’aller chaque semaine dans un café différent, et d’y passer quatre heures. Je leur dirais d’écrire, de lire et d’aller au cinéma l’après-midi comme des générations d’Américains à Paris l’ont fait avant eux.

AWP: Dans votre jeunesse, comment imaginiez-vous votre vie d’adulte ? Qu’est-ce qui a influencé cette vision ?

AK : L’écrivain que je traduis, Roger Grenier, a dit quelque part que l’on passe la première moitié de sa vie à se demander ce que l’on va faire avec et la seconde moitié à essayer de comprendre ce que l’on en a fait. Quand j’étais enfant, mon monde était défini par des lacs – le Lac Harriet en hiver, le Lac Minnetonka en été, et par le rêve d’y nager autant que je voulais, d’un bout à l’autre. Je n’ai jamais imaginé que j’aurais à délaisser ces lacs pour toujours. Mais je l’ai fait, et je suis encore émerveillée par l’apprentissage du français et jusqu’où cette langue m’a emmenée.

AWP: Quel est le dernier livre que vous avez lu ?

AK : A la fin de chaque semestre, je me régale du premier livre que je peux lire qui n’a aucun rapport avec mes classes. Cette année c’était les mémoires d’Akira Mizubayashi intitulées Une langue venue d’ailleurs, qui a pour sujet la passion d’un étudiant japonais pour le français. Et, bien sûr, j’ai lu dès sa sortie Bébé made in France [de Pamela Druckerman]. Je suis fan.

AWP: Comment exprimez-vous votre propre style ou mode ?

AK : Pour moi le style signifie, par-dessus tout, la forme et le son d’une phrase et le plaisir particulier de vivre entre deux langues. Je ne suis pas vraiment différente d’autres professeurs de français en ce qui concerne le fait d’aimer – ou du moins d’aimer analyser – toutes sortes de styles français, que ce soit à travers des vêtements, des films ou de la nourriture.

AWP: Quel a été votre repas le plus mémorable ?

AK : Dans French Lessons, j’écris sur mon premier soufflé Place Dauphine, quand j’avais quinze ans. Mais ce n’est plus un souvenir, plutôt une histoire. J’ai été invitée la semaine dernière chez des amis français, ici dans le Connecticut, pour suivre le premier tour des élections présidentielles françaises. Ils avaient préparé un pique-nique intérieur : une salade d’hiver d’endives, de betteraves, de noix et de bananes ; des tranches de foie gras et comme boisson du champagne.. Il y avait de l’affection tout autour de la table, des nouveaux amis, un climat d’histoire et de débat, et des enfants qui apprenaient. C’était un moment dont je me souviendrai longtemps.

AWP: Qu’y a-t-il actuellement dans votre réfrigérateur ?

AK : Voilà une question bien intime! J’ai un réfrigérateur de taille européenne dans ma cuisine : cela veut dire un volume limité et signifie également que je fais les courses chaque jour pour avoir des aliments frais. Hier, il n’y avait rien car je suis partie une semaine pour une présentation de livre. Mais hier soir un ami est venu avec du saumon et des pommes de terre nouvelles, des épinards frais et une tarte aux fruits du marché. Et aujourd’hui le frigo est à nouveau presque vide !

SÉLECTION DE LIVRES PAR ALICE KAPLAN :

French Lessons: A Memoir. Chicago: The University of Chicago Press, 1993. L’histoire d’un passage à l’âge adulte, racontée à travers la passion constante d’une jeune femme pour la vie dans une autre contrée.
Intelligence avec l’ennemi: le procès Brasillach, (Paris: Gallimard, 2002) Un journaliste et romancier fasciste condamné à mort et exécuté à la liberation– après à un procès de six heures. Une leçon de morale sur la liberté d’expression et la peine de mort.

L’interprète : dans les traces d’une cour martiale américaine (Bretagne, 1944). Paris : Éditions Gallimard, 2012 Kaplan reconstitute l’experience de l’écrivain Louis Guilloux en tant qu’ interprète auprès d’une cour martiale de l’armée américaine en Bretagne, ce qui lui a permis de témoigner du racisme américain, et des contradictions au sein de cette armée qui libéra la France.

Trois Américaines à Paris: Jacqueline Bouvier Kennedy, Susan Sontag, Angela Davis. Paris : Éditions Gallimard, 2012 (traduction de Patrick Hersant). Trois icônes américaines de l’après-guerre ont été transformées par leur année d’étude à Paris, et ont transformé en retour la vie américaine.

Traductions :

Roger Grenier, Another November : Piano Music for Four Hands (University of Nebraska Press), The Difficulty of Being a Dog ; A Box of Photographs (University of Chicago Press). Evelyne Bloch-Dano, Madame Proust. (University of Chicago Press); Louis Guilloux, OK, Joe (University of Chicago Press).

LIVRES RECOMMANDÉS PAR ALICE KAPLAN :

Enfance, de Nathalie Sarraute. C’est l’une des plus belles histoires que je connaisse sur l’apprentissage du français, écrite par l’une des pionnières du Nouveau Roman, dont la famille a émigré de Russie en 1909 lorsqu’elle avait sept ans.

En 1958, Albert Camus a rassemblé un certain nombre de ses essais sur l’Algérie Chroniques algériennes, livre qui n’a jamais paru dans son intégralité aux Etats-Unis. Il paraîtra pour la première fois dans la très belle traduction d’Arthur Goldhammer en mai 2013. ; j’en fais l’introduction.. Face à l’éveil du Printemps arabe et l’intérêt vis-à-vis de l’Afrique du Nord, et avec le 50ième anniversaire de l’indépendance algérienne en 2012 la vision angoissée de Camus sur l’Algérie alors en pleine guerre pour son indépendance en fait une lecture fascinante.

La fabuleuse histoire des légumes, d’Evelyne Bloch-Dano. Ce livre charmant est une « biographie » des légumes, complétée par des recettes. Evelyne Bloch-Dano est une très grande biographe française. On trouve également à L’university of Chicago Press sa biographie de la mère de Proust, Madame Proust.

Remerciements : Nous sommes reconnaissants aux personnes suivantes pour avoir rendu cet entretien possible : Alice Kaplan, auteure et professeur de français à Yale ; Levi Stahl, directeur de la publicité à l University of Chicago Press ; Nathalie Ehalt-Bove, enseignante à la Joyce Bilingual Preschool à Minneapolis et conseillère éditoriale pour A Woman’s Paris ; Merle Linda, Travel Over Easy ; et Ann Phillips, de l’Université du Minnesota. Nous sommes reconnaissants envers Bénédicte Mahé, contributrice pour A Woman’s Paris et créatrice du blog Tribulations Bretonnes, pour avoir rendu cette traduction possible. Elyse Rozina Rédactrice en Chef de Traduction à A Woman’s Paris, étudiante du Français et de l’Italien à L’Université de Minnesota Twin Cities.

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A Woman’s Paris — Elegance, Culture and Joie de Vivre

Nous sommes captivés par les femmes et les hommes qui utilisent leur discipline, esprit et ingéniosité de faire leur propre chemin et qui sont excellent dans ce que les Français appellent la joie de vivre ou de «l’art de vivre. » Nous sommes en admiration de ce qu’ils occupent leur vie. Les esprits libres qui inspirent à la fois l’admiration et la confiance.

“La mode n’est pas quelque chose qui existe dans les robes seulement. La mode est dans le ciel, dans la rue, la mode doit se faire avec des idées, la manière dont nous vivons et de ce qui se passe.” – Coco Chanel (1883-1971)

Text copyright ©2012 Alice Kaplan. All rights reserved.
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